Alors qu'elle a décidé d'envahir l'Ukraine au matin du 24 février 2022, la Russie a été confrontée dans la foulée à de lourdes sanctions sur plusieurs pans stratégiques de son économie, en particulier sur son industrie technologie. Dès le 25 février 2022, les États-Unis ont restreint les exportations vers la Russie d'un large éventail de produits fabriqués aux États-Unis et de biens produits à l'étranger à partir de technologies américaines, y compris des puces électroniques fabriquées aux États-Unis ou ailleurs dans le monde avec un outillage américain. La Russie a également été frappée par d'autres restrictions de ce type dans l'Union européenne.
La Russie s'est alors tournée vers des marchés secondaires, dont les fabricants de puces chinois, pour se procurer les puces et les éléments électroniques dont elle a besoin pour continuer à faire fonctionner son secteur technologique. Mais le quotidien économique national russe Kommersant a rapporté lundi que les entreprises technologiques russes ont remarqué quelque chose d'étrange dans les livraisons de puces qu'elles ont reçues de fabricants chinois : elles sont de plus en plus d'une piètre qualité depuis quelques mois. Le taux de défectuosité du silicium importé serait passé de 2 % avant le début de la guerre à 40 % aujourd'hui.
D'après le rapport, même un taux de défaillance de 2 % n'est pas optimal, car les produits composés de nombreux éléments peuvent donc connaître des problèmes de qualité considérables. Un taux de défaillance de 40 % signifie que les fournitures sont dangereusement proches de l'impropriété. Kommersant, qui est la propriété du milliardaire pro-Poutine Alisher Usmanov et a publié son premier numéro en janvier 1990, cite une source anonyme dans l'article, rejetant la faute à la fois sur la pandémie de Covid-19 et sur les sanctions économiques imposées plus récemment à la Russie pour avoir endommagé ses chaînes d'approvisionnement.
Ces sanctions auraient obligé la Russie à importer des semiconducteurs du marché gris. Le rapport note que les fabricants russes de produits électroniques n'ont pas la vie facile, car, en plus d'un taux de défaillance élevé, le matériel du marché gris ne circule pas à la même vitesse que le matériel légal et les chaînes d'approvisionnement sont actuellement très tordues en Russie. Une fois de plus, le rapport attribue la faute aux sanctions économiques qui ont poussé de nombreuses entreprises à quitter la Russie. Les distributeurs du marché gris et d'autres opérateurs opportunistes seraient les seules entités qui acceptent de traiter avec les entreprises russes.
Les distributeurs du marché gris ne sont pas réputés pour leur excellent service clientèle ni pour leur engagement en matière de qualité. Ils s'en tirent parce que les acheteurs de produits d'origine non conventionnelle s'auto-incriminent s'ils se plaignent aux autorités. Le rapport allègue qu'il se peut même qu'ils refilent des produits défectueux aux acheteurs russes, sachant qu'ils n'ont pas facilement accès à d'autres solutions. En outre, selon les critiques, si 40 % du silicium provenant de Chine est effectivement perdu, c'est une expression curieuse de l'"amitié sans limites" que Moscou et Pékin ont déclarée en février 2022, peu avant la guerre.
En effet, à l'occasion d'une rencontre en février, le premier le président russe Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping ont déclaré que les deux pays entretenaient une "amitié sans limites", sans "zones interdites" de coopération. Pékin a toutefois clairement fait savoir (en utilisant un langage extrêmement diplomatique) qu'elle désapprouve les hostilités russes à l'égard de l'Ukraine, en appelant Poutine à poursuivre les négociations. D'après les analystes, l'Empire du Milieu n'est pas non plus totalement opposé à l'isolement international de la Russie. Cela signifie que les perspectives d'exportation des entreprises chinoises s'améliorent.
Aujourd'hui, la plupart des démocraties libérales du monde semblent avoir fermé la porte à Huawei, ZTE et d'autres entreprises chinoises de haute technologie. Selon les critiques, c'est également une bizarrerie, compte tenu de l'ambition maintes fois affirmée de la Chine d'éradiquer la corruption, de moderniser son économie et de se concentrer uniquement sur le développement de produits de qualité de niveau mondial. De son côté, le ministère russe de l'Industrie et du Commerce aurait déclaré à Kommersant qu'il n'avait reçu aucune information concernant une augmentation de la proportion de composants défectueux.
Par ailleurs, beaucoup remettent en doute le rapport de Kommersant en raison de la croissance rapide de l'industrie chinoise des puces. Selon certains commentaires, le fait de livrer du matériel défectueux pourrait nuire à cette croissance et à la confiance dans les fabricants chinois de puces. Pour rappel, l'industrie chinoise des semiconducteurs se serait développée considérablement ces dernières années, en dépit des sanctions des États-Unis. Des données publiées en juin ont révélé que 19 des 20 entreprises de l'industrie des puces qui ont connu la plus forte croissance au cours des quatre derniers trimestres proviennent de la Chine.
Elles n'étaient que huit à la même période en 2021. Les fournisseurs chinois de logiciels de conception, de processeurs et d'équipements essentiels à la fabrication de puces augmenteraient leurs revenus plus vite que les leaders mondiaux, comme TSMC ou ASML Holding NV. Si les sanctions américaines à l'égard des entreprises chinoises ont stimulé la production de puces dans l'Empire du Milieu, l'on estime que les sanctions contre la Russie pourraient aussi servir de leçon la Chine.
Elle prévoirait une autosuffisance de 70 % en composants de base pour les technologies critiques d'ici le milieu de la décennie. La Chine, comme la Russie, manque encore de capacités de fabrication de puces avancées, mais l'un de ses principaux objectifs politiques à long terme est d'établir l'indépendance et l'autosuffisance dans l'industrie des semiconducteurs.
Source : Le quotidien économique national russe Kommersant
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