La rivalité entre la Chine et les États-Unis sur la propriété intellectuelle et la fabrication des semiconducteurs s'intensifie. Washington use d'un éventail de moyens afin de priver Pékin des puces les plus avancées sur le marché, ainsi que des machines complexes permettant de les fabriquer. Les États-Unis ont élaboré une longue liste de restrictions pour restreindre considérablement les exportations de puces avancées vers la Chine et retarder l'industrie technologique chinoise en général. De son côté, la Chine joue sur les exportations de terres rares, ainsi que d'autres formes de restrictions pour répondre à la menace de Washington.
Mais des études récentes indiquent que les États-Unis prennent une avance significative dans cette confrontation avec la Chine. Dans cette compétition, en plus des sanctions sévères, les États-Unis ont aussi eu recours à des investissements stratégiques pour renforcer leur position dans l'industrie des semiconducteurs. Le mois dernier, la Semiconductor Industry Association (SIA) et le Boston Consulting Group (BCG) ont publié un rapport qui prévoit une forte augmentation de la capacité de production de puces aux États-Unis. Ils pourraient contrôler une part importante du marché mondial des puces dans les dix années à venir.
Selon les chiffres du rapport, les États-Unis pourraient tripler leur capacité et contrôler jusqu'à 30 % de la fabrication de puces avancées d'ici à 2032. D'ici là, les États-Unis pourraient produire 28 % des puces de moins de 10 nm, alors que la Chine ne devrait en produire que 2 %. Actuellement, aucun des deux pays n'a la capacité de fabriquer ces puces avancées. Cette prédiction est basée sur une estimation des potentielles retombées de la loi "CHIPS and Science Act" adoptée par les États-Unis en 2022. Elle alloue 39 milliards de dollars à l'amélioration de la capacité de fabrication de puces avancées aux États-Unis.
Cela permet aux entreprises américaines de s'approvisionner directement aux États-Unis et réduire leur dépendance à l'égard de Taïwan. L'État insulaire est confronté à la menace permanente d'une invasion chinoise, alors qu'elle est le lieu de fabrication de plus de 90 % des puces les plus avancées au monde. La Chine revendique la paternité de l'île, ce qui constitue une menace pour l'industrie technologique américaine et européenne. Le rapport, intitulé "Emerging Resilience in the Semiconductor Supply Chain", s'attend à des résultats substantiels au cours de la prochaine décennie. Voici les principales conclusions du rapport :
- la capacité des usines américaines devrait augmenter de 203 % d'ici à 2032, soit un triplement de la capacité américaine ;
- la part des États-Unis dans la capacité mondiale de fabrication devrait augmenter pour la première fois depuis des décennies, passant de 10 % aujourd'hui à 14 % d'ici à 2032 ;
- les États-Unis devraient accroître leurs capacités dans des segments technologiques essentiels, tels que la fabrication de pointe, la mémoire DRAM, etc. Par exemple, la capacité américaine en matière de logique avancée passera de 0 % en 2022 à 28 % en 2032, y compris les nouvelles capacités à la pointe de la technologie ;
- les États-Unis assureront plus d'un quart (28 %) des dépenses d'investissement mondiales entre 2024 et 2032, soit un montant estimé à 646 milliards de dollars, ce qui les place en deuxième position derrière Taïwan.
Une étude de Citi Research souligne l'urgence de cette expansion. L'étude révèle que bien qu'ils représentent 25 % de la demande mondiale de puces, les États-Unis ne possèdent que 12 % de la capacité mondiale de fabrication de semiconducteurs, ce qui représente un net recul par rapport aux 37 % des années 1990. « Cette situation a suscité des inquiétudes quant à une menace pour la sécurité nationale, étant donné les efforts de la Chine pour prendre pied dans cette industrie vitale », indique le rapport de Citi Research. Les États-Unis espèrent que les sanctions vont ralentir la Chine en attendant qu'ils prennent de l'avance.
Les semiconducteurs sont très difficiles à fabriquer et les États-Unis comptent sur leurs sanctions et leurs restrictions à l'exportation pour créer davantage d'obstacles à la Chine. Depuis 2017, en commençant par des sanctions contre ZTE, les États-Unis ont renforcé les contrôles à l'exportation sur les équipements de production de semiconducteurs avancés et les puces informatiques à haute performance. Le Bureau de l'industrie et de la sécurité du ministère américain du Commerce a encore intensifié ces restrictions en octobre de l'année dernière. Les sanctions américaines ont un coup dur à l'activité mobile du géant Huawei.
En 2022, l'administration Biden a interdit aux entreprises américaines de vendre à la Chine les puces et les équipements de fabrication de puces les plus avancés sans licence spéciale, isolant de fait le secteur technologique chinois. Elle a aussi persuadé le Japon et les Pays-Bas, les deux autres principaux fournisseurs de machines de fabrication de puces, d'introduire leurs propres interdictions. En outre, les restrictions de la Maison Blanche interdisent également aux entreprises étrangères de fabrication de puces qui utilisent la technologie américaine de produire des semiconducteurs de pointe pour les acteurs chinois.
Les contrôles à l'exportation visent simultanément tous les segments de la chaîne de valeur des semiconducteurs. L'Union européenne a introduit la loi européenne CHIPS, tandis que des États comme Taïwan, la Corée du Sud, le Japon et l'Inde ont lancé divers programmes d'incitation pour soutenir leur industrie des puces. Le Japon, par exemple, vise à attirer 64,2 milliards de dollars d'investissements afin de tripler ses ventes de puces produites localement pour atteindre environ 96,3 milliards de dollars d'ici 2030. L'Inde réalise également des investissements substantiels, notamment pour augmenter ses capacités de production.
De son côté, la Corée du Sud soutiendrait des dépenses estimées à 246 milliards de dollars pour des technologies locales, y compris un programme de 7,3 milliards de dollars pour les puces qui devrait être annoncé prochainement. Mais la Chine ne reste pas inactive. Selon Bloomberg, la Chine compte plus d'usines de semiconducteurs en construction que n'importe quel autre pays et a engagé plus de 142 milliards de dollars d'incitations gouvernementales pour développer son industrie nationale des puces. Toutefois, les experts affirment que la Chine semble consacrer encore plus d'énergie à ce que l'on appelle les puces anciennes.
Chris Danely, responsable de la recherche sur les technologies et les communications et analyste des semiconducteurs aux États-Unis chez Citi, a commenté cette guerre des semiconducteurs en déclarant : « alors que la Chine cherche à devenir autonome dans la fabrication de semiconducteurs, les États-Unis et leurs alliés tentent d'atténuer l'impact de la Chine par des sanctions et des subventions telles que la loi CHIPS ».
Source : rapport d'étude
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