
l'innovation technologique aux États-Unis risque de stagner si le CHIPS Act est abrogé
Le président américain Donald Trump a demandé au Congrès d'abroger la loi « CHIPS and Science Act ». Cette loi prévoit une enveloppe de 280 milliards de dollars pour subventionner la fabrication de puces aux États-Unis et placer le pays à la pointe de la recherche et de l'innovation. Mais Donald Trump s'oppose à cette idée et préfère punir les entreprises qui importent des puces en imposant des droits de douane de 25 % ou plus. Les analystes affirment que l'innovation technologique aux États-Unis risque de stagner si le CHIPS Act est abrogé. Au même moment, la Chine se positionne pour recruter les talents américains dans le domaine des puces.
Donald Trump demande aux législateurs de mettre fin au programme CHIPS Act
Lors de son récent discours devant le Congrès, Donald Trump a appelé les législateurs à abroger la loi bipartisane « CHIPS and Science Act » votée sous son prédécesseur Joe Bien. La loi vise à accroître significativement la fabrication de semiconducteurs aux États-Unis et à faire du pays le leader mondial en matière de recherche et d'innovation. Pour cela, elle prévoit de subventionner la construction d'usines de fabrication de puces et d'autres types d'installations.
Concrètement, la loi alloue 52,7 milliards de dollars à la recherche sur les semiconducteurs, à la fabrication et au développement de la main-d'œuvre aux États-Unis. Elle est perçue comme l'une des principales réalisations en matière de législation de la présidence Biden. Plusieurs entreprises en ont déjà bénéficié.
Donald Trump est un critique virulent du CHIPS Act depuis son adoption en juillet 2022. Selon lui, cette loi est tout simplement « horrible ». « Vous devriez vous débarrasser du CHIPS Act, et tout ce qui reste, Monsieur le Président, vous devriez l'utiliser pour réduire la dette », a-t-il déclaré devant le Congrès.
Donald Trump accuse les bénéficiaires du CHIPS Act de prendre des centaines de milliardaires de dollars du contribuable américain et de ne pas dépenser cet argent pour réaliser les projets initialement prévus. Il propose que le CHIPS Act soit abrogé et que son enveloppe soit réorientée vers la dette nationale.
« Votre CHIPS Act est une chose horrible, horrible. Nous donnons des centaines de milliards de dollars et cela ne sert à rien. Ils prennent notre argent et ne le dépensent pas », a déclaré Donald Trump. Pour contraindre les entreprises à installer des usines et à fabriquer leurs puces aux États-Unis, il veut miser sur les droits de douane. Il a menacé d'imposer des droits de douane de 25 % sur toutes les importations de semiconducteurs dès le 2 avril 2025.
Mais les analystes de Forrester Research mettent en garde contre les répercussions de ces droits de douane et des représailles potentielles. La Consumer Technology Association estime que les prix des ordinateurs portables et des tablettes pourraient augmenter de 68 %, ceux des consoles de 58 %, ceux des écrans de 48 % et ceux des smartphones de 40 % pour les Américains, ce qui pourrait ralentir la croissance économique aux États-Unis et ailleurs.
Ainsi, les droits de douane posent un défi majeur pour l'innovation et la compétitivité du secteur technologique aux États-Unis. Une stratégie économique plus équilibrée, favorisant à la fois la production locale et l'accès abordable aux nouvelles technologies, semble indispensable pour éviter de telles perturbations.
Fin du CHIPS Act : les potentielles implications pour l'innovation et la recherche
Le programme CHIPS Act ne se contente pas d'accorder des subventions pour attirer les fabricants de semiconducteurs aux États-Unis. Pour la première fois depuis des décennies, la loi a créé une nouvelle branche de la National Science Foundation (NSF), la direction de la technologie, de l'innovation et des partenariats (TIP), qui ne fonctionne comme aucune autre partie de la NSF et dont l'existence semble aujourd'hui menacée par l'administration Trump.
La TIP est chargée de faire passer les idées les plus audacieuses du pays de la recherche fondamentale aux applications concrètes le plus rapidement possible afin de rendre les États-Unis aussi compétitifs que possible. La TIP contribue à faire avancer toutes les recherches de la NSF et est censée garantir le leadership des États-Unis dans les technologies de pointe, dont l'IA, la 6G, les biotechnologies, l'informatique quantique, la fabrication de pointe, etc.
Il a fallu des années pour que la TIP soit prête à enclencher le processus d'accélération de l'innovation technologique aux États-Unis. Sans lui, Donald Trump risquerait de faire reculer les États-Unis à un moment où des concurrents comme la Chine prennent de l'avance et courtisent les scientifiques américains.
« Imaginez notre situation dans deux ans et celle de la Chine dans deux ans en matière d'informatique quantique, de semiconducteurs ou d'IA », a déclaré un initié de la TIP sous le couvert de l'anonymat. Selon lui, l'IA chinoise DeepSeek est un indicateur de la rapidité avec laquelle le leadership technologique peut changer sur les marchés mondiaux. Il a déclaré : « nous allons nous faire assassiner si la Chine établit la norme en matière de 6G ou d'IA ».
Joe Biden a alloué 20 milliards de dollars au lancement de la TIP par le biais du CHIPS Act afin d'accélérer le développement technologique, non seulement dans les grandes entreprises, mais également dans les petites structures de recherche à travers les États-Unis. Mais dès que le département de l'efficacité gouvernementale (DOGE) d'Elon Musk a commencé à opérer des coupes dans la NSF cette année, c'est la TIP qui a été le plus durement touché.
En février 2025, le DOGE a complètement désorganisé la NSF en imposant des coupes arbitraires dans les effectifs en période probatoire, principalement de jeunes scientifiques, dont certains. Toutes ces réductions ont été jugées illégales et finalement annulées au début du mois de mars par décision de justice, après des semaines de chaos internes qui auraient bloqué ou menacé de retarder certaines des recherches les plus prioritaires pour les États-Unis.
Le 3 mars 2025, la NSF a envoyé un courriel à tous les travailleurs pour confirmer que tous les travailleurs en période d'essai seraient réintégrés « immédiatement ». Mais le mal est peut-être déjà fait, car on ne sait pas exactement combien de travailleurs ont l'intention de revenir dans les bureaux de la NSF.
La Chine tenterait de recruter les talents américains dans le domaine des puces
Au début du mois, six associations scientifiques et de recherche ont écrit au Congrès pour lui demander de protéger le secteur américain de la recherche. Ces associations se décrivent comme des organisations de premier plan représentant plus de 305 000 personnes travaillant dans les domaines de l'informatique, des technologies de l'information et de l'innovation technique dans l'industrie, le monde universitaire et le gouvernement des États-Unis.
Ces groupes ont averti que le gel des financements et les réductions de personnel à la NSF et dans d'autres agences fédérales ont provoqué des perturbations et de l'incertitude et menacent de conséquences négatives durables pour la compétitivité, la sécurité nationale et la prospérité économique des États-Unis.
D'autres sources du secteur industriel ont déclaré que les réductions arbitraires qui touchent en grande partie les plus jeunes scientifiques de la NSF menacent de perturber une génération de chercheurs qui envisageaient de longues carrières pour faire progresser la technologie américaine.
Ces chercheurs risquent désormais d'être attirés par d'autres pays qui investissent massivement dans la science et font actuellement de la publicité pour attirer les talents américains déplacés, y compris non seulement des rivaux des États-Unis comme la Chine, mais aussi des alliés comme le Danemark. Selon un rapport publié en 2024, les recruteurs chinois ciblent les scientifiques ayant accès aux technologies sensibles et sophistiquées occidentales.
Le rapport en question a été publié par le Wall Street Journal et cite des exemples d'entreprises occidentales dont les employés ont été approchés par les chasseurs de têtes chinois. L'allemand Zeiss SMT, leader mondial dans la production de systèmes et de modules pour la production de micropuces, figure par les entreprises ciblées. L'autonome dernier, des chasseurs de têtes affiliés au géant technologique chinois Huawei ont tenté de débaucher ses employés.
Les groupes industriels et les chercheurs américains s'interrogent sur la sagesse de l'approche d'Elon Musk, qui consiste à casser la NSF pour la reconstruire, alors que celle-ci est déjà l'une des organisations les plus légères du gouvernement. Les incertitudes autour du CHIPS Act causent déjà des problèmes.
Selon les rapports, certains programmes de doctorat ont été annulés, car de nombreux chercheurs universitaires sont déjà très préoccupés par les retards ou les annulations de subventions et, d'une manière générale, ne savent plus où trouver un financement fiable en dehors de la NSF. Certains projets du CHIPS Act ont déjà été retardés, car des entreprises comme Intel essaient de gérer les délais sans savoir ce qu'il advient du financement du CHIPS Act.
Des licenciements massifs prévus au NIST menacent la survie du CHIPS Act
La mise en œuvre du CHIPS Act est supervisée par le NIST (National Institute of Standards and Technology). Le NIST est un laboratoire du ministère américain du Commerce. Et c'est lui qui est d'administrer les fonds destinés à soutenir l'industrie américaine des semiconducteurs dans le cadre du CHIPS Act. Cependant, environ 500 personnes au NIST sont menacées de licenciement et la suppression de ces emplois pourrait sonner le glas du CHIPS Act.
Selon les rapports, les personnes visées par les licenciements au NIST sont en période probatoire, comme dans le cas de la NSF. Robert Maire, analyste chez Semiconductor Advisors, a déclaré que la grande majorité des personnes visées sont associées au CHIPS Act, car ce sont les employés les plus récents, la plupart d'entre eux ayant été recrutés en 2024, alors que le président Joe Biden intensifiait ses efforts pour mettre en œuvre le CHIPS Act.
Les employés du NIST impliqués dans la mise en œuvre du programme sont chargés de certifier que les entreprises ont satisfait aux exigences nécessaires pour bénéficier des subventions dans le cadre du CHIPS Act. Ainsi, si le personnel est licencié, le programme pourrait tout simplement disparaître avec eux.
Robert Maire s'inquiète de l'avenir du CHIPS Act, mais espère que les entreprises qui construisent des usines dans des États contrôlés par des législateurs républicains seront épargnées par d'éventuelles réductions des dépenses. Par ailleurs, le CHIPS Act n'est peut-être pas le seul projet menacé.
Le rapport de Robert Maire indique que de nombreux programmes de sécurité informatique et de lutte contre le piratage sont également visés par les coupes. Les programmes de sécurité de l'IA au NIST semblent également concernés. Il rapporte notamment que l'Institut américain de sécurité de l'IA (AI Safety Institute - AISI) a perdu son chef en févier 2025 et son personnel a été exclu du Sommet pour l'action sur l'IA qui s'est récemment tenu à Paris.
Ces réductions interviennent à un moment où les États-Unis cherchent à prendre la tête de la course à l'IA et à contrer la concurrence de la Chine. Le PDG d'ASML a déclaré que la Chine a 10 à 15 ans de retard en matière de fabrication de puces, mais les entreprises chinoises travaillent sur des machines EUV.
Les restrictions américaines sont parmi les principaux facteurs à l'origine du retard des fabricants chinois de puces, car elles ont privé le pays des outils de lithographie EUV de pointe comme ceux construits par ASML. Mais la Chine pourrait échapper aux restrictions occidentales grâce à ses propres machines EUV.
La fragilité du modèle de relocalisation des semiconducteurs aux États-Unis
Le projet de relocalisation de la fabrication de puces aux États-Unis, avec l’ouverture prochaine de l’usine de TSMC en Arizona, est une réponse stratégique aux défis géopolitiques et industriels contemporains. Toutefois, ce projet de relocalisation comporte des défis de taille. L'insuffisance de main-d'œuvre qualifiée aux États-Unis et les différences culturelles dans les méthodes de travail pourraient freiner la montée en puissance de ces nouvelles installations.
La fabrication de semiconducteurs, nécessitant des compétences techniques avancées, pourrait pâtir de la difficulté à recruter et former suffisamment de travailleurs compétents sur le territoire américain. En outre, les coûts de production élevés, exacerbés par des réglementations strictes et des salaires plus élevés qu’en Asie, soulèvent de nombreux doutes sur la viabilité économique à long terme de ces projets. Une inquiétude partagée par plusieurs experts.
Par ailleurs, la dépendance croissante aux subventions publiques pour soutenir ces initiatives interroge sur leur pérennité. La capacité politique des États-Unis à maintenir ces financements sur plusieurs cycles législatifs inquiète. Si ces usines peinent à rivaliser en termes de coûts ou de rendements avec leurs homologues taïwanaises, elles risquent de devenir des projets très coûteux, vulnérables aux changements de priorités politiques et économiques.
Si le CHIPS Act venait à disparaître, les entreprises de fabrication de puces pourraient ralentir leurs dépenses dans les programmes pour lesquels elles pensaient obtenir un financement au titre du CHIPS Act, voire annuler carrément ces projets. Ce qui est contraire à la vision du président Donald Trump.
« Si je dirigeais une entreprise de fabrication de puces, je ne compterais pas sur le financement du CHIPS Act, même si j'avais un contrat signé, car il ne vaut clairement pas le papier sur lequel il est écrit si le NIST est éviscéré », conclut Robert Maire dans son analyse sur l'avenir du CHIPS Act.
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