
« Les États-Unis n'ont rien payé pour ces actions », se félicite Trump
L’annonce a fait l’effet d’un coup de tonnerre : l’administration américaine vient d’obtenir près de 10 % du capital d’Intel, l’un des fleurons de la micro-électronique mondiale. Derrière ce chiffre impressionnant, un détail change la perspective : ces fonds ne proviennent pas d’un nouveau plan d’investissement, mais de la conversion en actions de subventions déjà allouées dans le cadre de la loi CHIPS et du programme Secure Enclave. En pratique, Washington transforme donc en participation financière des aides qui avaient été promises à Intel la présidence précédente, mais pas encore versées. La manœuvre permet de limiter la dépense budgétaire immédiate tout en affichant un soutien massif à la souveraineté technologique américaine.
Intel a officiellement annoncé vendredi avoir conclu un accord avec l'administration du président Donald Trump, après que ce dernier ait déclaré que le gouvernement allait prendre une participation de 10 % dans le fabricant de puces en difficulté.
Alors qu'Intel affirme que le gouvernement réalise un « investissement de 8,9 milliards de dollars dans des actions ordinaires Intel », l'administration ne semble pas engager de nouveaux fonds. Il s'agit plutôt de honorer ce qu'Intel a décrit comme « des subventions précédemment accordées, mais non encore versées, à Intel ». Plus précisément, les 8,9 milliards de dollars proviendraient de 5,7 milliards de dollars accordés mais non versés à Intel dans le cadre du CHIPS Act de l'administration Biden, ainsi que de 3,2 milliards de dollars également accordés par l'administration Biden dans le cadre du programme Secure Enclave.
La participation du gouvernement reste passive : pas de droits de vote, pas de siège au conseil d’administration. L’État n’a donc pas la main sur les choix stratégiques de l’entreprise, mais il devient un actionnaire de référence. À cela s’ajoute un mécanisme incitatif : un warrant valable cinq ans qui permettrait à l’État d’augmenter sa participation jusqu’à 5 % supplémentaires si Intel perdait le contrôle majoritaire de son activité de foundry. Une manière de garantir que l’entreprise reste un acteur américain central dans la production de puces stratégiques.

Du côté de l’administration américaine, l’opération est présentée comme une « excellente affaire pour l’Amérique et pour Intel ». Dans un message publié sur son réseau social Truth Social, Trump a écrit : « Les États-Unis n'ont rien payé pour ces actions ».
Ce geste marque une rupture avec la tradition américaine du « laisser-faire » : en dehors des crises financières, les États-Unis évitent habituellement d’entrer au capital d’entreprises privées. Ici, le message est clair : les semi-conducteurs sont considérés comme un actif stratégique, au même titre que l’énergie ou la défense.
L’objectif est double :
- assurer la souveraineté industrielle, en garantissant que la production de puces critiques reste sur le sol américain ;
- envoyer un signal géopolitique fort, notamment vis-à-vis de la Chine, en montrant que Washington n’hésite pas à utiliser les outils de l’État pour défendre ses champions technologiques.
Trump a critiqué la loi CHIPS, la qualifiant « d'horrible, horrible chose » et appelant le président de la Chambre des représentants Mike Johnson à « s'en débarrasser ». Dans un document réglementaire déposé en juin, Intel a déclaré que, bien qu'elle ait déjà reçu 2,2 milliards de dollars au titre de la loi CHIPS, elle avait par la suite demandé un remboursement supplémentaire de 850 millions de dollars que le gouvernement n'avait pas encore versé.
Selon le New York Times, certains banquiers et avocats estiment que la loi CHIPS pourrait ne pas permettre au gouvernement de convertir ses subventions en capitaux propres, ce qui exposerait cet accord à d'éventuelles contestations judiciaires.
En plus de s'en prendre à la loi CHIPS, Trump a également accusé au début du mois le PDG d'Intel, Lip-Bu Tan, de conflits d'intérêts et a déclaré qu'il devrait « démissionner immédiatement ». Le président s'est montré plus positif à l'égard de Tan vendredi, déclarant sur Truth Social qu'il avait « négocié cet accord avec Lip-Bu Tan, le très respecté PDG de la société ».
Pour sa part, le PDG d'Intel a répondu : « En tant que seule entreprise de semi-conducteurs à mener des activités de recherche et développement et de fabrication de pointe dans le domaine de la logique aux États-Unis, Intel s'engage fermement à garantir que les technologies les plus avancées au monde soient fabriquées aux États-Unis ». Et de continuer en disant : « L'accent mis par le président Trump sur la fabrication de puces aux États-Unis stimule des investissements historiques dans un secteur vital qui fait partie intégrante de la sécurité économique et nationale du pays. Nous sommes reconnaissants de la confiance que le président et l'administration accordent à Intel, et nous sommes impatients de travailler à faire progresser le leadership technologique et industriel des États-Unis. »
Des perspectives encore incertaines
Reste à savoir si ce soutien suffira à redresser la trajectoire d’Intel. Plusieurs défis demeurent :
Tout d'abord, parlons de la fiabilité industrielle : les procédés de gravure avancés développés par Intel souffrent encore de problèmes de rendement. Sans amélioration rapide, l’entreprise aura du mal à attirer des clients externes sur son activité foundry. Évoquons également la pression commerciale : la Chine pourrait réagir en réorientant ses achats vers d’autres fournisseurs, fragilisant encore davantage les parts de marché internationales d’Intel.
De plus, le maintien de la direction actuelle reste sous surveillance. Les tensions entre le président américain et le PDG d’Intel ont déjà alimenté les rumeurs de déstabilisation. La moindre crise interne pourrait prendre une ampleur politique inédite. Sans compter le fait que certains juristes estiment que la conversion de subventions en capital pourrait être contestée. Les termes de la loi CHIPS étaient stricts, et une requalification de cette opération n’est pas impossible.
Une question de modèle : capitalisme ou interventionnisme ?
Au-delà du cas Intel, c’est une véritable réflexion sur le modèle américain qui s’ouvre. Jusqu’où un État peut-il aller pour soutenir un secteur stratégique sans basculer dans une forme de nationalisation déguisée ?
D’un côté, les partisans de cette intervention rappellent que la Chine subventionne massivement ses entreprises technologiques et que les États-Unis doivent répliquer pour rester compétitifs. De l’autre, les critiques dénoncent un détournement de fonds publics au profit d’une multinationale qui reste déficitaire sur plusieurs segments et qui, en temps normal, aurait dû convaincre ses actionnaires privés de réinvestir.
Est-il besoin de rappeler que le PDG d'Intel lui-même a reconnu qu'Intel n'est plus un leader dans la fabrication de puces, une position qu'elle détenait il y a 20 à 30 ans. Pire encore, il a affirmé que l'entreprise est sortie du « top 10 des entreprises de semi-conducteurs » : « Il y a 20 ou 30 ans, nous étions vraiment le leader. Aujourd'hui, je pense que le monde a changé. Nous ne faisons pas partie des 10 premières entreprises de semi-conducteurs ».
Même si un porte-parole de l'entreprise a vite réagi en disant qu'il faisait référence à la capitalisation boursière de l'entreprise, plusieurs ont noté que le sujet de la capitalisation boursière n'avait été évoqué à aucun moment au cours de la conversation de 20 minutes avec le PDG.
Conclusion : un pari risqué mais structurant
Cette entrée de l’État américain au capital d’Intel illustre un changement d’ère. La frontière entre secteur privé et stratégie nationale s’estompe dans un domaine jugé vital pour la sécurité économique.
Pour les professionnels de l’informatique, ce dossier montre que la technologie n’est plus seulement une question de R&D et de compétitivité : elle devient un instrument de puissance géopolitique. Si Intel parvient à redresser sa production et à sécuriser des clients pour son activité de fonderie, cette opération sera vue comme un coup de maître. Mais si les problèmes techniques persistent et que les ventes à l’étranger s’effondrent, l’État américain pourrait bien se retrouver actionnaire d’un géant affaibli — et exposé aux critiques d’avoir utilisé l’argent public pour peu de résultats concrets.
Sources : Intel, Donald Trump
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