La dernière application en date des cristaux de carbone est la réalisation d'un processeur, mais pas avec du graphène : avec des nanotubes de carbone. C'est l'exploit qu'a réalisé une équipe du MIT et de Analog Devices : un processeur avec seize bits d'adresse mémoire et des instructions de trente-deux bits, utilisant le jeu d'instructions RISC-V, avec un total de quatorze mille transistors. On pourrait déjà imaginer utiliser ce processeur dans des applications réelles, si toutefois il n'était pas si lent : ce processeur ne fonctionne qu'à une fréquence de… dix kilohertz ! Même l'Intel 8086, le premier processeur x86, sorti en 1978, fonctionnait à une fréquence de cinq mégahertz, presque mille fois plus élevée (avec un peu moins de trente mille transistors).
Le problème d'un processeur est qu'il requiert des propriétés semi-conductrices : on encode l'information sur la possibilité qu'a le courant de passer. Pour simplifier : il passe, c'est un 1 ; il ne passe pas, c'est un 0. Or, contrairement au graphène, les nanotubes n'ont pas toujours cette propriété semi-conductrice : lors de leur production, on obtient autant de nanotubes métalliques (conducteurs) que semi-conducteurs. Ces derniers doivent être purifiés avant toute utilisation, mais les techniques actuelles ne permettent pas de monter à plus de 99,9 % de nanotubes semi-conducteurs. En l'état, on ne peut pas réaliser un grand circuit électronique : avec des millions de nanotubes, on se retrouve vite avec des milliers de nanotubes conducteurs qui risquent de fausser le fonctionnement du circuit. L'équipe de chercheurs a donc décidé de "faire avec".
De plus, on ne connaît pas encore de procédé permettant la croissance de nanotubes de carbone de manière précise : il faut donc les déposer sur une surface et tenter d'influencer leur position. En général, ils se positionnent n'importe comment : il est impossible de prévoir leur orientation ; à certains endroits, d'ailleurs, les nanotubes ont tendance à s'accumuler. Les chercheurs ont d'abord utilisé une couche d'un autre métal par-dessus les nanotubes, une couche retirée par des ondes sonores (sonication). Ainsi, les agrégats sont retirés en laissant intacte la fine couche de nanotubes. Et pour la question de l'orientation ? À nouveau, les chercheurs "font avec" : ces nanotubes sont déposés sur un substrat de silicium où une base est déjà fabriquée pour le processeur, notamment avec des écarts : les nanotubes sont utilisés pour réaliser les jonctions ; si ces écarts sont suffisamment grands, il y aura bien assez de nanotubes pour réaliser la jonction.
Ensuite, les chercheurs ont étudié les portes logiques traditionnelles (NOT, AND, OR, etc.), utilisées pour réaliser tous les circuits électroniques (bien que, souvent, seule la porte NAND soit utilisée, puisqu'elle permet de réaliser toutes les autres). Ils ont remarqué que toutes ne se comportaient pas de la même manière selon la présence de nanotubes métalliques : certaines voyaient leur comportement entièrement modifié par la présence d'un seul nanotube conducteur, d'autres presque pas. Chaque fonction pouvant être réalisée de différentes manières, ils ont recherché la manière de synthétiser chaque opération en utilisant uniquement des portes logiques qui se comportent bien avec des imperfections dans les nanotubes.
Ce procédé de fabrication est toujours assez expérimental, mais n'utilise que des étapes traditionnelles dans la fabrication de processeurs : la production à grande échelle pourrait se faire assez rapidement. Le seul problème étant la performance : à dix kilohertz, le processeur est inutilisable, peu importe l'application. Les améliorations promettent d'être difficiles à réaliser, vu qu'il faut toujours un certain nombre de nanotubes par transistor (vu leur positionnement anarchique et la présence de nanotubes métalliques). En attendant, la réduction de taille se heurtera vite à des limites physiques. La production de nanotubes semi-conducteurs sans imperfection permettrait de n'utiliser qu'un nanotube par transistor, mais la recherche en est toujours loin. Malgré leurs promesses de réduction de consommation d'énergie, notamment, les nanotubes de carbone ne semblent donc pas encore prêts pour une utilisation en masse.
Plus de détails : Modern microprocessor built from complementary carbon nanotube transistors.
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