RISC-V est une architecture de jeu d'instructions (instruction set architecture ou ISA) RISC ouverte et libre, disponible en versions 32, 64 et 128 bits. Le but de ce projet est de faire un standard ouvert de jeu d'instructions pour microprocesseur, à l'image du standard TCP/IP pour les réseaux ou d'UNIX pour les systèmes d'exploitations, l'architecture des processeurs étant pour le moment toujours fermée, restreignant les progrès, les implémentations ou le support dans les systèmes d'exploitation.
Plusieurs aspects rendent ce projet particulièrement significatif. Tout d'abord, le passage de RISC-V, historiquement utilisé pour des applications modestes, à des conceptions compétitives dans le domaine du calcul haute performance (HPC) et des centres de données, représente un tournant. Les performances annoncées de Kunminghu, proches de celles du Neoverse N2 d'Arm, illustrent une progression technique impressionnante, bien qu'encore à valider en pratique.
Ensuite, l'utilisation d'une licence permissive (Mulan PSL-2.0) pour le développement de cette puce ouvre des perspectives disruptives. Ce modèle rappelle l'ascension de Linux dans les systèmes d'exploitation, où l'ouverture et la collaboration ont permis de concurrencer les géants des logiciels propriétaires. Une telle stratégie pourrait réduire la dépendance des entreprises et des gouvernements chinois vis-à-vis des solutions technologiques étrangères, tout en proposant une alternative viable aux systèmes propriétaires fermés d'Arm, Intel ou AMD.
Cependant, le contexte géopolitique exacerbe encore davantage les enjeux. En 2023, une demande a été adressée à la Maison Blanche et au secrétaire au commerce visant à imposer des restrictions aux Américains travaillant avec RISC-V afin d'empêcher la Chine d'acquérir une position dominante dans la technologie des unités centrales de traitement. Andrew ‘bunnie’ Huang, un Hacker, fabricant et auteur américain, a adressé une lettre au Président américain Joe Biden pour qu'il n'impose « aucune restriction au partage de la technologie RISC-V ».
D'aprés Andrew ‘bunnie’ Huang, les restrictions américaines proposées sur RISC-V contre la Chine ne servirait qu'à réduire la participation américaine à une technologie émergente importante, tout en renforçant la position d'ARM en tant qu'opérateur historique. Il avait demandé au Président Biden de « n'imposer aucune restriction au partage de la technologie RISC-V. » Selon lui, il est possible de "travailler ensemble pour multiplier les réussites des fabricants de puces américains, tout en respectant la valeur américaine de la liberté d'expression.
Envoyé par Andrew ‘bunnie’ Huang
Malgré ces promesses, des défis majeurs subsistent. Le développement de processeurs haut de gamme exige des compétences et des ressources considérables, comme le montre le retard accumulé par le projet Xiangshan. La complexité croissante des architectures modernes, notamment en termes de prédiction de branchement et d'optimisation énergétique, reste un obstacle non négligeable. De plus, le succès d'une architecture ne repose pas uniquement sur ses performances, mais aussi sur l'écosystème logiciel et le soutien des développeurs, deux domaines où RISC-V a encore du chemin à parcourir.
Enfin, l'adoption massive de processeurs RISC-V pour des usages stratégiques, comme les centres de données, dépendra de leur capacité à rivaliser en termes de coût, de performance et d'efficacité énergétique. L'optimisation de ces critères, combinée à une production moins dépendante des technologies de pointe sous sanctions, pourrait faire émerger un nouveau paradigme technologique, bouleversant l'équilibre actuel dominé par les acteurs occidentaux.
Ainsi, le projet Xiangshan illustre non seulement une avancée technologique, mais aussi une stratégie politique et économique à long terme. Bien que les résultats concrets soient encore à venir, ce projet mérite une attention particulière, tant pour son potentiel à redéfinir l'industrie des semi-conducteurs que pour ses implications dans les rivalités technologiques globales.
Comprendre l’architecture RISC-V
RISC-V est une architecture de jeu d'instructions (instruction set architecture ou ISA) 64 bits RISC ouverte et libre, c'est-à-dire aux spécifications ouvertes et pouvant être utilisée librement par l'enseignement, la recherche et l'industrie. Ce projet, créé initialement dans la division informatique de l'Université de Californie à Berkeley, aux États-Unis, avait d'abord une visée d'étude et de recherche, mais est devenu de facto un standard d'architecture ouverte dans l'industrie.
Le but de ce projet est de faire un standard ouvert de jeu d'instructions de microprocesseur, à l'image du standard TCP/IP pour les réseaux ou de Linux pour le noyau, l'architecture des processeurs étant pour le moment toujours fermée, restreignant les progrès, les implémentations ou le support dans les systèmes d'exploitation.
RISC-V arrive avec un nouvel ensemble d'instructions qui promet l'évolutivité des microcontrôleurs aux supercalculateurs et offre une extensibilité définie par l'utilisateur, permettant aux entreprises de se différencier avec des instructions personnalisées.
De plus, avec cette approche open source, l'objectif de RISC-V est que la collaboration entre la recherche, les études et l'industrie puisse travailler ensemble pour produire une architecture plus rapidement que les modèles d'affaires traditionnels. Toutefois, pour pouvoir mettre en place un jeu d'instructions de microprocesseur sur le marché, il y a des obstacles majeurs à surmonter. Les pratiques de développement rapides d'aujourd'hui exigent que les offres de processeurs soient stables avec la promesse d'une longue durée de vie sur le marché.
RISC-V une alternative à l’architecture Arm
« Nous respectons RISC-V mais ce n'est pas un rival dans le centre de données », déclare Arm. L’année dernière, les dirigeants d'Arm auraient tenté de minimiser la menace que représente RISC-V pour les activités de l'architecte de silicium. S'adressant aux journalistes lors d'un événement presse, Dermot O'Driscoll, vice-président des solutions produits chez Arm, a reconnu que RISC-V était « une certaine concurrence sérieuse » au concepteur de puces britannique. « C'est un marché très excitant en ce moment », a-t-il déclaré. « Cela nous aide tous à nous concentrer et à nous assurer que nous faisons mieux ».
O'Driscoll a ensuite souligné la force de la propriété intellectuelle, des licences, des relations avec les clients et de l'écosystème logiciel d'Arm, probablement dans le but d'attirer l'attention sur l'immaturité relative du RISC-V dans ces domaines. Alors que le RISC-V existe depuis 2010, l'architecture de jeu d'instructions (ISA) libre et ouverte n'a fait que récemment son entrée dans les produits commerciaux, a-t-il souligné.
Dans le même temps, Qualcomm a laissé entendre qu’il voyait en RISC-V une alternative à l’architecture Arm pour ses futurs produits. Le développement d'un écosystème logiciel comprenant tous les outils et bibliothèques nécessaires, ainsi que des applications et des systèmes d'exploitation, pourrait s'avérer une tâche plus importante que prévu. Il a fallu à Arm une décennie ou plus pour obtenir un soutien suffisant autour de son architecture afin d'en faire un concurrent des systèmes x86 dans les centres de données, par exemple.
Larry Wikelius, directeur senior des normes techniques chez Qualcomm, qui a déclaré que « l’architecture flexible, évolutive et ouverte de RISC-V permet des avantages pour toute la chaîne de valeur - des fournisseurs de silicium aux fabricants OEM en passant par les consommateurs finaux ».
L’architecture ouverte de RISC-V : catalyseur d’innovation ou miroir aux alouettes ?
Le projet chinois RISC-V, porté par l'Académie chinoise des sciences, marque une avancée stratégique dans le domaine des technologies ouvertes. Avec l'annonce du processeur Xiangshan Kunminghu, la Chine affiche clairement son ambition de rivaliser avec les géants tels qu'Arm, Intel ou AMD, non seulement en termes de performances techniques, mais également dans le développement d’un écosystème technologique souverain. Cependant, plusieurs défis et opportunités se dessinent.
L’aspect le plus notable est le passage de RISC-V, historiquement associé à des applications modestes, à des usages exigeants tels que le calcul haute performance et les centres de données. Les performances promises par Kunminghu, comparables à celles d’architectures avancées comme le Neoverse N2, témoignent d’une progression impressionnante. Toutefois, la réussite de cette transition dépendra de la capacité à valider ces performances en pratique, notamment sur des aspects critiques tels que l’efficacité énergétique, la gestion thermique et l’intégration logicielle.
Un des points centraux du projet repose sur sa stratégie de licence ouverte, inspirée des succès comme celui de Linux. Cette approche pourrait bouleverser les dynamiques actuelles en permettant à des acteurs tiers, en Chine et ailleurs, de contribuer à un écosystème indépendant des contraintes imposées par les brevets ou sanctions occidentales. Cela ouvre également la porte à des innovations collaboratives, bien que le succès à long terme nécessitera un effort concerté pour développer des outils de développement performants, des compilateurs adaptés et un support logiciel étendu.
Cependant, la mise en œuvre d’une architecture RISC-V de pointe soulève des questions complexes. La conception de processeurs compétitifs à grande échelle, avec des éléments tels que des prédicteurs de branche sophistiqués ou des systèmes d’exécution parallèle optimisés, reste un défi majeur. Ces technologies demandent une expertise accumulée et des expérimentations longues, domaines où des entreprises comme Arm et Intel possèdent une avance significative.
Enfin, ce projet ne peut être dissocié de son contexte géopolitique. Les sanctions technologiques imposées à la Chine ont joué un rôle catalyseur en forçant le pays à investir massivement dans des solutions alternatives. Si cette initiative réussit, elle pourrait offrir à la Chine un levier stratégique en réduisant sa dépendance aux technologies occidentales. Cela pourrait également inspirer d'autres nations à explorer des voies similaires, notamment pour éviter les monopoles technologiques.
En conclusion, le projet RISC-V chinois illustre un tournant potentiel dans l’industrie des semi-conducteurs. Bien qu’il soit encore tôt pour juger de son succès, il représente une opportunité unique de réinventer le marché des processeurs en proposant une alternative ouverte, souveraine et collaborative. Toutefois, les défis techniques, l’écosystème logiciel et la validation des performances resteront les points clés pour transformer cette ambition en réalité.
Sources : SPDX, Weibo,
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La Chine pourra-t-elle développer un écosystème logiciel robuste pour soutenir l'adoption de RISC-V, notamment en matière de compilateurs, bibliothèques et outils de développement ?
Voir aussi :
La Fondation Linux et ses partenaires, dont Intel, soutiennent l'écosystème logiciel autour de RISC-V, le projet baptisé RISE rassemble plusieurs fournisseurs dans divers secteurs industriels
RISC-V : toute restriction contre la Chine ne servirait qu'à réduire la participation américaine à une technologie émergente importante, tout en renforçant la position dominante d'ARM